Les zazous



Contrairement à une idée préconçue, le jazz n’a jamais subi en France une quelconque interdiction de la part des autorités allemandes, comme il en fut en Allemagne et dans les autres pays conquis (Il sera néanmoins interdit en Alsace – Lorraine, régions « annexées » par l’Allemagne). Tout au long de la guerre, le jazz n’est pas absent de la scène parisienne, bien au contraire. Après quelques jours de perturbations dues à l’entrée du soldat allemand dans la capitale, l’activité dans lieux de spectacles reprend de plus belle, attirant bien vite une clientèle abondante et hétéroclite, composée de représentants des forces d’occupation mais aussi de français peu gênés par cette promiscuité… Et dans ces salles de spectacles le Jazz est très souvent présent.
Il est incontestable que le jazz est, pour les autorités allemandes, une musique « décadente, nègre… juive de surcroit » et contraire à l’éthique du Reich ! C’est certainement pour éviter de heurter l’occupant que les titres des standards américains seront d’ailleurs traduits en français ! Mais indépendamment de cette précaution, beaucoup de musiciens de jazz ont la possibilité d’exercer leur métier, bénéficiant d’une certaine bienveillance de la part de l’occupant, même pour des artistes comme le « manouche » Django Reinhardt !
Jazz et swing ne sont pas non plus des mots tabous, loin s’en faut… Au début de l’année 1941, l’orchestre du « Jazz de Paris » se produit dans plusieurs cabarets. Le compositeur et chef d’orchestre Robert BERGMANN fonde et dirige l’Orchestre Symphonique de Jazz … Au théâtre du Gymnase, en mars 1941, on ressort également la pièce de Marcel Pagnol « Jazz » datant des « années folles ». En février 1942, un « festival swing » a lieu à la salle PLEYEL au profit des musiciens prisonniers et de leurs familles et du « Secours National – Entr’aide d’Hiver du Maréchal ». Toutes les vedettes du jazz français, annoncées comme telles, y seront rassemblées !

Les zazous.

Depuis la fin des années 30, une bonne partie de la jeunesse parisienne se presse dans les concerts jazz de la capitale, scandant du pied les rythmes effrénés des grands orchestres swing de l’époque… 

Les « swing ».

D’abord appelés simplement les « swing » ou « petits swing », ces jeunes seront rapidement nommés « zazous » ! La provenance du mot viendrait de l’onomatopée « zazou – zé » utilisée dans le « scat », forme de jazz vocal où l’onomatopée remplace les paroles. « Zazou » est utilisé la première fois en France dans la chanson de Johnny Hess « Je suis swing », enregistrée en 1938 et dont le refrain chante : « Je suis swing, je suis swing… Zazou, zazou, zazou zazou zé… » (Il est probable que l’onomatopée vienne, à l’origine, du morceau de jazz « Zaz Zuh Zaz » enregistré en 1933 par Cab Calloway). 

Conflit des générations.

Le mouvement Zazou, sans être un « réseau » de résistance, reste néanmoins animé d’un sentiment politique de contestation et de révolte par l’inertie. Mais peut-être plus simplement, c’est la manifestation exacerbée de l’éternel conflit des générations !
Leur revendication se traduit essentiellement par une allure vestimentaire provocatrice. « Jeunesse », un magazine militant pour une jeunesse digne de la révolution nationale, décrit ainsi nos zazous : « Voici le spécimen de l’ultra swing 1941 : Cheveux dans le cou entretenus dans un savant désordre, petite moustache à la Clark Gable, veste de tricot sans revers, pantalon rayés, chaussures à semelles trop épaisses, démarche syncopée… » 
Les zazous sont de grands amateurs de motifs à carreaux. Les garçons portent des pantalons étroits et courts qui s’arrêtent à la cheville. Leurs pieds sont chaussés de souliers à semelle compensée. Leur cou est serré dans un col de chemise relevé et retenu par une épingle et orné d’une cravate étroite. Surtout, le zazou porte une veste longue, large ou cintrée qui lui tombe sur les cuisses, provocation évidente alors que les vêtements et les articles textiles sont rationnés à partir de 1941. Leurs cheveux brillantinés descendent sur la nuque et sont longs et remontés en frisottant sur le devant : encore un pied de nez à un décret de 1942 obligeant la récupération des cheveux dans les salons de coiffure pour en faire des pantoufles ! Les filles, elles, portent souvent des cheveux qui tombent en boucles sur les épaules. La couleur blonde est de mise. Elles se fardent avec un rouge à lèvres très rouge et se cachent les yeux derrière de grosses lunettes noires. Ces demoiselles portent des vestes aux épaules carrées sur une jupe courte et plissée qui s’arrête au-dessus du genou ! Leurs bas sont rayés ou à résille et leurs chaussures sont à semelle de bois colorée et épaisse. Pour le garçon, comme pour la fille, le parapluie est de rigueur. Mais qu’il pleuve ou non, il reste obstinément fermé ! 
C’est ainsi paré, qu’on retrouve nos zazous à la terrasse du Pam Pam sur les Champs-Elysées où à celle des cafés du Boulevard Saint Michel. Ces jeunes gens passent leurs temps à refaire le monde en critiquant la politique du moment, par provocation… Ils organisent parfois des monômes (le monôme est une manifestation étudiante française qui peut être aussi bien festive que démonstrative en fonction des établissements et des occasions). Ils déambulent à quelques-uns en se tenant par les épaules, en fil indienne et en chantant des « comptines » provocatrices. Vite, ils se retrouvent une centaine ! Au premier agent de police, au premier uniforme vert de gris, c’est la débandade… Gare à celui qui se fait prendre et qui n’a pas ses papiers en règle ! Certains manifestent sur les Champs-Élysées, une canne à pêche dans chaque main : « deux gaules ! ». D’autres, aussi inconscients que téméraires, n’hésitent pas à porter l’étoile jaune avec marqué dessus « zazou » ou « swing » : cette provocation en amène plus d’un à Drancy (d’où ils sont rapidement relâchés) avec pour chef d’accusation : « amis des juifs ». 


Depuis juin 1940, pour réagir au désastre de la débâcle et à la demande d’armistice qui en a suivi, le gouvernement de Philippe Pétain entreprend une campagne de nouvelles réformes dans le cadre de sa « Révolution Nationale ». Dès 1940, Vichy crée un « Ministère de la Jeunesse ». Ce ministère se montre très préoccupé par l’éducation de la jeunesse française. Elle exhorte morale et productivité – Travail-Famille-Patrie – et le nouvel Etat voit en ces zazous une influence rivale et dangereuse pour sa jeunesse. Si le jazz reste toléré par les autorités d’occupation et par la politique vichyste, il n’en sera pas de même pour nos zazous ! 
A longueur d’articles, les journaux de Vichy déplorent la décadence qui affecte la morale française et ils considèrent les zazous comme un ramassis de tire-au-flancs égoïstes. Entre 1940 et 1943, la presse publie plus de 100 articles contre le phénomène zazou. En 1942, le régime de Vichy se rend bien compte que la renaissance nationale qu’il espérait voir se réaliser par les jeunes est sérieusement affectée par un rejet généralisé du patriotisme et de l’éthique du travail. Pour le zazou, jouer l’esprit de contradiction reste primordial et il s’arrange pour le faire savoir ! C’est ce qui constitue l’élément essentiel de sa philosophie. Cette prise de position et cette attitude « j’ m’en foutiste » leur amènera beaucoup de problèmes dès 1942. 


Les zazous deviennent « l’ennemi numéro un » de l’organisation de la jeunesse nationaliste des Jeunesses Populaires Françaises. « Scalpez les zazous ! » est devenu leur mot d’ordre. Des escouades de la J.P.F, armées de tondeuses et de ciseaux, attaquent les zazous ! Des rafles commencent à avoir lieu dans les bars et les zazous se font tabasser dans les rues. Beaucoup sont arrêtés et ceux en âge d’être mobilisé pour les chantiers de jeunesse, seront envoyés à la campagne pour travailler aux champs. À ce stade, le déclin des zazous est annoncé. Les zazous entrent dans la clandestinité, se terrant dans leurs salles de danse tandis que la résistance officielle les soupçonne d’adopter une attitude apathique, voire désinvolte, envers la guerre en général. 
De nouvelles rafles de jeunes gens « swing » ont eu lieu aux Champs-Élysées ainsi qu’au quartier Latin Le préfet de police de paris vient de charger le préfet de la brigade mondaine de faire opérer par ses services quelques rafles dans les cafés à la mode et les bars élégants fréquentés par ces nouveaux « Incroyables ». La première descente de police, dans un grand café du quartier des Champs-Élysées, avait amené des vérifications d’identité pour une soixantaine de jeunes gens de moins de vingt et un ans surpris à boire l’apéritif interdit ou ne pouvant justifier d’une occupation définie. Une nouvelle opération de police a eu lieu dans un autre établissement réputé pour l’extrême jeunesse de sa clientèle. Une douzaine de jeunes « zazous » ont été appréhendés. Le « panier à salade » prit alors le chemin du quartier Latin et s’arrêta à proximité d’un des principaux cafés du boulevard Saint Michel. Là, les inspecteurs procédèrent à de nombreuses interpellations et la voiture cellulaire étant surchargée, le commissaire fut obligé de faire monter quelques « moins de vingt ans » dans sa propre Voiture et de regagner à pied le quai des Orfèvres. Une foule goguenarde se réjouissait du spectacle, mais se posait la question que nous posons à notre tour : « S’il est bon de mettre un terme à l’oisiveté de ces jeunes aux occupations louches, pourquoi ne pas en demander compte aussi aux parents qui devraient les surveiller ? »
Les Jeunesses populaires françaises communiquent : Dimanches dernier, à Neuilly, un groupe important de jeunes, appartenant aux Jeunesses populaires françaises, a corrigé quelques « swing ». Les cheveux abondants de ces nouveaux Incroyables commençaient sous l’action des tondeuses à joncher le trottoir, quand la police jugea utile de défendre les « Zazous » qui piaillaient. Spontanément, la foule défila derrière les appréhendés, au chant de Maréchal nous voilà…


Commentaires

  1. Putain ! C'est quoi cette tartine ? Ce blog devient pire que le mien !

    À part ça, je n'aime pas le snobisme qui entouré généralement les amateurs de jazz. Tiens ! C'est un peu le même snobisme que les amateurs de rugby ont vis-à-bis des amateurs de foot.

    (Ceci est pas une attaque personnelle ou un truc comme ça).

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    1. J'aime bien cette histoire de zazous, c'est un peu d'actualité.

      La prochaine fois que je viens à la Comète je passe avec mes deux rugbymen en herbe, ils approchent bientôt le quintal les bougres.

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    2. Je les prends au comptoir...

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    3. Facile et heureusement, ils débutent en bière.

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    4. Un formateur comme moi serait du luxe. Je vais les prendre en troisième année s'ils veulent devenir ivrognes.

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    5. J'ai tout de même remarqué qu'ils apprennent assez vite pendant les retours de déplacement.

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    6. Le Jazz c'est chouette, le snobisme vient généralement des gens qui n'y connaissent que couic mais ça n'est pas là le problème, le problème vient du fait qu'ils ne VEULENT même pas s'y intéresser (sinon ils verraient que cette idée s'effondre d'elle-même).
      C'est une musique de passionnés, alors si même la passion devient suspecte...
      Si, dès lors que tu fais une activité (généralement culturelle) qui essaie de tirer vers le haut, tu te fais traiter de snob, on a pas fini de vivre dans une époque de merde.
      C'est comme les gens qui, dès lors que tu es publié, ou que tu fais de la musique, te collent sur le dos sans même te connaitre : "Il a la grosse tête".
      Ça me rappelle l'éternel débat sur les "bobos", il y a énormément de clichés qui circulent, parce que les choses (et les gens) ne sont pas si simples que ça et ne correspondant généralement pas à des tiroirs qui n'arrangent que les fabricants d'armoires (si tu vois ce que je veux dire).
      Franchement, moi non plus j'y connais que dalle au Jazz, mais ce que j'en entends, ce que j'en ai entendu, et ben ça me plait bien.

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    7. MHPA, tu ne m'as pas compris (ou je me suis mal exprimé, ce qui revient au même). Je fais moi-même partie des bobos et j'ai été assez décrié pour avoir été number one du bordel.

      Je respecte tous les goûts musicaux.

      Par contre, il y a un sentiment de supériorité chez les amateurs de jazz par rapport aux andouilles comme moi. Ils vont dénigrer la musique que tu aimes en expliquant que eux, ils écoutent de la vraie musique, ils t'expliquent qu'ils s'y connaissent et pas toi.

      Avec moi, les conversations tournent assez facilement court, on est assez peu nombreux parmi les "fans" de rock à avoir fait 7 ans de violon et à connaitre réellement la musique (ou à avoir connu, ce qui serait plus juste, parce que maintenant, je m'en fous).

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  2. Génial ! merci ! On en apprend, putain, de ces trucs !
    "Elle exhorte morale et productivité", ouais, on est en plein dedans, en plein dans une bonne époque à la con cernée par l'auto-défense et la parano.
    Il n'y a rien de mieux que l'histoire pour en apprendre un peu plus sur nous même.
    Merci encore, contrairement à ce que dit cet ignare de Nicolas, c'est un billet d'anthologie que je m'en vais m'empresser de partager à tour de bras !!!

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  3. Soyez pas étonnés, je suis d'accord avec Stéphane. Très beau billet.

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    1. Merci les gars, il faut remercier Raoul, l'auteur, j'avais lu l'histoire des zazous il y a quelques temps et j'ai trouvé ça très intéressant.

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  4. Parlez-Vous Zazou https://youtu.be/mp6mczM5dBs not jazz... still cool.

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